Inauguration de l’exposition « Les Plans secrets du Débarquement »

Mercredi 22 mai

Salle des Pas-Perdus
Seul le prononcé fait foi

Madame la Secrétaire d’État chargée des Anciens combattants et de la Mémoire, chère Patricia Mirallès,

Monsieur le ministre et président de la Fondation Charles de Gaulle, cher Hervé Gaymard,

Mesdames et messieurs les députés,

Monsieur le chef d’état-major des armées, général,

Monsieur le délégué national de l’Ordre de la Libération, général,

Monsieur le directeur général de la Sécurité extérieure, cher Nicolas Lerner,

Monsieur le président d’honneur de l’Amicale des Anciens des Services Spéciaux de la Défense nationale, général,

Messieurs les officiers généraux,

Mesdames et messieurs les officiers,

Mesdames, messieurs,

Dans deux semaines, la France célébrera le 80e anniversaire du Débarquement : la plus grande opération aéronavale de l’Histoire, qui marqua la reconquête du territoire français sur l’occupant et la renaissance de la démocratie dans notre pays.

Ce sera l’occasion de saluer l’héroïsme des Alliés, la mémoire de ces milliers de soldats venus des États-Unis, du Canada, du Royaume-Uni pour libérer la France, malgré le feu meurtrier qui balayait les côtes normandes. Et parmi ceux qui ont bravé puis vaincu le Mur de l’Atlantique, je n’oublierai pas les Français du commando Kieffer, dont j’ai eu la chance de rencontrer l’un des derniers vétérans, Léon Gautier, lors d’un de mes déplacements en Normandie.

Mais aujourd’hui, ce sont à d’autres combattants que je vous propose de rendre hommage : des combattants de l’ombre, des irréductibles qui, ayant suivi l’appel du général de Gaulle, ont montré avec lui que « la flamme de la Résistance française ne doit pas s’éteindre et ne s’éteindra pas ».

Parmi eux, André Dewavrin qui prit pour nom de guerre celui de colonel Passy : il fut de ces « sentinelles de la ligne 6 », ces agents clandestins qui choisirent pour pseudonymes les stations de cette ligne du métro parisien. Maurice Duclos était « Saint-Jacques », Alexandre Beresnikoff était « Corvisart » – et je salue ses descendants ici présents. Leur chef enfin était le colonel Passy, dont la petite-fille Marie et toute la famille viennent de faire un magnifique cadeau à la Nation : les archives de leur ancêtre, offertes il y a quelques jours au service historique de la Défense.

La ligne 6, vous le savez, va de la Nation à l’Arc-de-Triomphe de l’Étoile, ce qui fut justement le destin de la Résistance : d’abord dans le cœur de vrais patriotes qui refusèrent la victoire d’Hitler, elle finit par triompher, au point d’ailleurs que l’ancienne station Étoile porte maintenant le nom de Charles de Gaulle. Aujourd’hui, exceptionnellement, la ligne 6 marque un arrêt à l’Assemblée nationale, pour nous permettre de découvrir ensemble ces documents exceptionnels, montrés pour la première fois au public.

Des documents d’abord qui témoignent de la création de la France libre et de l’émergence de ses services secrets, comme cette émouvante lettre du général de Gaulle au colonel Passy lui demandant de prendre langue avec les services secrets britanniques, ou ce rapport manuscrit signé Rex, le pseudonyme de Jean Moulin.

Des documents aussi qui montrent que sans savoir ni où ni quand aurait lieu le Débarquement – ni même s’il aurait vraiment lieu un jour –, le colonel Passy et ses hommes planifièrent une série d’actions coordonnées pour gêner la Wehrmacht et empêcher l’Allemagne nazie d’acheminer des renforts. Des plans secrets sans lesquels le Débarquement aurait coûté de nombreuses vies supplémentaires aux Alliés.

Immortalisé par La Bataille du rail, le Plan vert visait ainsi à couper les voies ferrées par des sabotages. Le Plan bleu était conçu pour couper l’approvisionnement électrique des voies ferrées et des zones côtières. Le Plan violet rendait impossibles les communications téléphoniques. Le Plan Bibendum, en référence à une marque de pneus bien connue, consistait à entraver les déplacements routiers. Le Plan rouge, enfin, programmait l’entrée en action des maquis.

Des mots d’ordres convenus, diffusés sur Radio-Londres, permirent de déclencher ces plans, dont nous avons ici les textes originaux, élaborés au sein des services secrets du général de Gaulle.

À côté de ces documents extraordinaires, et pour mieux nous plonger dans la réalité de ces années de guerre, nos vitrines comportent aussi des objets emblématiques de la période : du matériel de codage et de sabotage, des armes, des emblèmes, aimablement prêtés par la DGSE, que je remercie. 

La centrale du boulevard Mortier a même accepté de nous confier, le temps de cette exposition, l’un de ses trésors patrimoniaux : une machine Enigma, unique en son genre, puisque ce fut celle que fabriquèrent les Français à partir des plans dérobés aux Allemands. Elle permit de comprendre le système de rotors brouilleurs qui devait rendre les codes allemands impossibles à casser ; et plus tard, l’apport des Français et des Polonais permettra aux Anglais de trouver, à Bletchley Park, le moyen de déchiffrer les télécommunications allemandes.

Parmi les objets exposés, je voudrais tout particulièrement en signaler un qui résume clairement le tragique des années 40. Il s’agit d’un bijou, la chevalière en or du colonel Passy, qui porte les initiales AD : celles de son vrai nom, André Dewavrin, aussi bien que celles de son identité fictive, Antoine Dubocq, antiquaire à Neuilly. D’une simple pression de l’ongle, le chaton portant ces lettres pivote, dévoilant un petit logement où était cachée la pilule de cyanure, à avaler en cas d’arrestation… Cette chevalière, le colonel Passy la portait lors de la mission Arquebuse-Brumaire qu’il accomplit en France occupée, en 1943, aux côtés de Pierre Brossolette, dont je salue la petite-fille Sylvie Pierre-Brossolette.

Cette chevalière, restée en possession de la famille Dewavrin, rejoindra bientôt les collections de la DGSE. J’ai tenu à l’exposer ici, pour rappeler à quels risques mortels s’exposaient ces combattants de l’ombre, Français libres, résistants, qui osaient défier le nazisme. La Gestapo, l’Abwehr et les organisations collaborationnistes arrêtaient, torturaient, déportaient et tuaient impitoyablement ces soldats de la liberté qu’ils qualifiaient de « terroristes ». Et pour le chef des services secrets du général de Gaulle, mieux valait le cyanure que tomber entre leurs mains.

Mais le colonel Passy ne se fit pas prendre, il agit efficacement, dans la clandestinité comme à Londres ; il supervisa la rédaction des plans secrets du Débarquement, approuvés par le commandement allié, et il contribua lui-même à les mettre en œuvre au sein de l’état-major du général Kœnig.

Après la guerre, la politique reprit ses droits, la polémique aussi, sans égard pour les anciens héros de l’ombre : une fois la liberté reconquise, communistes et gaullistes s’éloignèrent, droite et gauche s’opposèrent, c’est la loi du pluralisme et de la démocratie parlementaire.

Pour ma part, je veux surtout retenir le programme du CNR et l’engagement des anciens résistants dans la rénovation de la vie publique et la reconstruction de la France. Fermes sur les principes, ils surent trouver des solutions transpartisanes pour réformer le pays. Ce fut en application d’une ordonnance du général de Gaulle approuvée par les communistes et les autres forces politiques de l’Assemblée consultative provisoire que les Françaises devinrent enfin électrices et éligibles. Et j’aime à rappeler que la première femme à présider une séance, la communiste Madeleine Braun, vice-présidente de l’Assemblée nationale en 1946, était une résistante : j’ai fait apposer une plaque à sa mémoire dans l’hémicycle. Ce furent aussi des liens de confiance entre anciens résistants qui déterminèrent la gauche à soutenir la proposition de loi du gaulliste Lucien Neuwirth légalisant la contraception, en 1967.

Oui, l’Assemblée nationale peut être fière de compter des dizaines de résistants parmi les anciens députés, et pas moins de 66 Compagnons de la Libération dont deux de mes prédécesseurs, Jacques Chaban-Delmas et Achille Peretti : je sais que leurs familles sont ici présentes et je les salue.

Le colonel Passy, lui, ne se présenta pas aux législatives : il se consacra aux affaires, écrivit ses Mémoires, joua son propre rôle dans L’Armée des ombres et conserva pieusement ses archives, que sa famille transmet maintenant à la Nation française. 

Ces fragiles manuscrits, ces documents dactylographiés sur le mauvais papier disponible en temps de guerre, ces vrais et faux passeports qu’il portait sur lui sont à l’image de son temps : austères et grands, humbles et magnifiques à la fois. En les contemplant, en les déchiffrant, on comprend mieux le sens de ce bouleversant Chant des partisans qui vient de fêter lui aussi son 80e anniversaire : « Ohé partisans, ouvriers et paysans, c'est l'alarme ! / Ce soir l'ennemi connaîtra le prix du sang et des larmes. / Montez de la mine, descendez des collines, camarades, / Sortez de la paille les fusils, la mitraille, les grenades. »

Petite-fille d’un réfugié de Pologne qui s’engagea dans la Légion en 1939 pour défendre la France, puis rejoignit la Résistance, je suis particulièrement sensible au souvenir de ces combattants qui, de toutes leurs forces, n’écoutant que leur conscience, contribuèrent à la chute du nazisme et à la construction d’une Europe pacifiée. 

Et au moment où la guerre revient sur le continent européen, en un temps où les discours nationalistes retentissent sans retenue et où l’antisémitisme renaît dangereusement, je crois qu’il nous faut cultiver l’exemple de ceux qui refusèrent l’innommable.

Le 6 juin prochain, j’irai en Normandie pour commémorer le Débarquement, tout comme le 15 septembre, j’irai à Nancy, ma ville natale, pour célébrer sa libération. 

Entre-temps, le 18 juin, l’Assemblée nationale rendra hommage à l’ensemble des combattants qui ont libéré le Palais-Bourbon à l’été 1944. Le lendemain, 19 juin, nous saluerons la mémoire de Jean Zay, pour les 80 ans de son assassinat, à travers un colloque et une lecture publique par Christian Gonon, de la Comédie-Française. Ces manifestations ont reçu le label de la Mission Libération, tout comme l’exposition que nous inaugurons aujourd’hui.

Mesdames, messieurs, je terminerai en ajoutant que le 7 juin prochain, une importante délégation du Congrès des États-Unis viendra au Palais-Bourbon, après la commémoration du Débarquement. Ce sera bien sûr avec fierté que je lui donnerai à voir cette exposition exceptionnelle, qui corrobore la déclaration du général Eisenhower selon laquelle, sans l’action coordonnée de la Résistance française, le Débarquement n’aurait pu réussir.
Vive la République, vive la France !

Je vous remercie et suis heureuse de céder la parole à Patricia Mirallès, Secrétaire d’État chargée des Anciens combattants et de la Mémoire. C’est vous, chère Patricia, qui avez eu l’honneur de signer pour l’État la convention par laquelle la famille Dewavrin offrait ses archives à la France.

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