Lundi 3 juin 2024
Discours
Discours
Clôture du programme « Ambition service public » de l’association La Cordée
Grand Amphithéâtre de la Sorbonne
Seul le prononcé fait foi
Monsieur le Président de la République,
Monsieur le Chancelier,
Madame la Présidente du Bundestag,
Monsieur le Président du Bundesrat,
Monsieur le vice-président du Sénat,
Mesdames et messieurs les ministres,
Mesdames et messieurs les députés des deux rives du Rhin, chers collègues,
Mesdames et messieurs les ambassadeurs,
Mesdames, messieurs,
Il me revient l’honneur d’ouvrir cette Journée franco-allemande, pour commémorer le 60e anniversaire du traité de l’Élysée du 22 janvier 1963, et c’est avec émotion que je prends la parole ici, à la Sorbonne, où tout a commencé.
Car il y a sept siècles de cela, dans l’enceinte estudiantine créée par Robert de Sorbon, on trouvait une « Nation française » et une « Nation allemande », étroitement liées déjà dans le travail, l’étude et la recherche.
À l’époque en effet, à la Sorbonne, ce terme de « nation » recouvrait tous les étudiants natifs d’une même partie du monde : en cette université vouée à la découverte des humanités classiques, la « Nation française » englobait les élèves originaires des pays latins, France, Espagne, Portugal, États italiens ; et la « Nation allemande », tous ces jeunes de l’Europe rhénane et nordique, vos prédécesseurs chers jeunes Européens, venus si nombreux à Paris qu’il fallut bientôt distinguer « Nation de Haute-Allemagne » et « Nation de Basse-Allemagne ».
Ainsi, les « nations » au sens de la Sorbonne n’étaient-elles pas des groupes hostiles et chauvins : simplement, des collectivités humaines. Chacune avait sa langue, sa culture, ses us et coutumes, auxquels il n’était pas question de renoncer. Mais chacune voulait aussi connaître les coutumes, cultures et langues des autres nations, pour bâtir quelque chose de plus grand avec elles.
Et en sept siècles, malgré les guerres et les drames, malgré le sang versé sur tous les champs de bataille du monde, les esprits éclairés n’ont rien voulu d’autre que d’étendre au continent le miracle de la Sorbonne, pour que les nations deviennent des familles au sein d’un vaste ensemble européen.
C’est ainsi que l’histoire de France, l’histoire d’Allemagne, n’ont en fait cessé de se mêler, de se mélanger, pour former une seule et même histoire franco-allemande dont, toutes et tous ici, nous sommes en définitive les héritiers.
Ce n’est pas un vœu pieux, c’est une réalité qu’il est facile de constater. L’un des plus charmants monuments de l’agglomération berlinoise porte un nom français : Sans-Souci, où Frédéric II recevait Voltaire ; et le plus célèbre des monuments français porte un nom allemand, Eifel, région rhénane dont était issue la famille de Gustave Eiffel, né Bonickhausen.
Le Rhin, on le voit, n’est pas un fossé entre nos deux peuples. Hegel avait raison de dire qu’un fleuve n’est pas ce qui sépare, mais ce qui rassemble. Et tout notre art politique consiste sans doute à bâtir des ponts.
Après Hegel, c’est Hugo qui écrivait, dès 1842 : « Il faut, pour que l’univers soit en équilibre, qu’il y ait en Europe, comme la double clef de voûte du continent, deux grands États du Rhin, tous deux fécondés et étroitement unis par ce fleuve régénérateur. » Le grand écrivain venait de voyager à travers la vallée du Rhin, il en tirait un splendide récit qu’il concluait avec cette hauteur de vue : « La France et l’Allemagne sont essentiellement l’Europe »…
Combien de huguenots français ont franchi le Rhin pour trouver asile en terre allemande et y faire souche ? Combien de citoyens allemands, plus tard, fuyant le nazisme, ont recherché en France un havre de liberté ? J’en parle en connaissance de cause, moi, petite-fille d’une citoyenne de Munich réfugiée en Lorraine : et si j’évoque ici le souvenir de Rosa, ma grand-mère née Allemande, épouse d’un réfugié polonais – et tous deux naturalisés Français –, c’est pour vous dire simplement que, du plus lointain de son enfance, la présidente de l’Assemblée nationale française a entendu des mots allemands pour exprimer l’amour d’une vieille dame à sa petite-fille et l’espoir d’une vie heureuse en Europe…
Qu’elle serait contente de nous voir aujourd’hui, tenant cette promesse, devenue enfin une réalité tangible ! Cela, grâce à l’esprit de responsabilité qui a su prévaloir des deux côtés du Rhin.
Le mois dernier, à l’Assemblée nationale, j’ai fait apposer une plaque en l’honneur d’un grand orateur parlementaire d’autrefois, Aristide Briand. Il fut député, ministre, chef du gouvernement pendant la bataille de Verdun. La paix revenue, effaré par les massacres et les destructions d’une guerre mondiale, il œuvra de toutes ses forces pour la paix, le rapprochement franco-allemand et les États-Unis d’Europe. En 1926, il reçut le prix Nobel de la Paix conjointement avec son homologue allemand Stresemann. Et quand, dans l’hémicycle du Palais-Bourbon, les députés français lui demandèrent de rendre compte de ses échanges avec le gouvernement de la république de Weimar, voici la réponse qu’il lança et que je vous invite à méditer : « Nous avons parlé l’européen. C’est une langue nouvelle qu’il faudra bien que l’on apprenne. »
La Grande Crise de 1929, la montée des nationalismes ont empêché cette belle vision de se réaliser tout de suite. Mais une deuxième guerre mondiale plus tard, nous savons, nous démocrates, nous humanistes des deux rives du Rhin, que c’est Aristide Briand qui avait raison.
C’est pourquoi, il y a soixante ans, le 22 janvier 1963, le général de Gaulle et le chancelier Adenauer signaient cet extraordinaire traité de l’Élysée qui redonnait des bases solides, concrètes et rénovées à l’amitié franco-allemande. Les « nations » au sens de la Sorbonne l’emportaient sur le nationalisme, l’ouverture sur la fermeture, l’échange fructueux sur le repli frileux. Et c’est ainsi que nous avons connu, fait unique dans l’histoire, six décennies de concorde et de paix.
Dans le contexte que nous connaissons aujourd’hui, je veux le dire avec force, l’amitié franco-allemande est un bien précieux. Partout nous entendons l’écho des vieux discours populistes et xénophobes qui ont fait tant de mal ; et sur notre flanc oriental, nous avons vu resurgir leur conséquence fatale, la guerre. Notre responsabilité est d’éloigner ces spectres, ces forces de destruction et de désolation que nous récusons, ensemble.
L’amitié franco-allemande ? C’est l’antidote aux poisons qui par deux fois ont failli emporter l’Europe : le nationalisme et l’expansionnisme. C’est un gage tout à la fois de démocratie et de prospérité, pour le présent bien sûr, et plus encore pour l’avenir.
Jeunes Allemands, jeunes Français, jeunes Européens qui êtes ici présents, c’est votre génération qui doit s’emparer de cet héritage et le faire fructifier : c’est votre génération qui va construire l’avenir. Et notre premier investissement, c’est vous, c’est la jeunesse franco-allemande qui va transformer le monde.
Car, nous le voyons bien, les grands chantiers du futur sont d’abord franco-allemands ! Réindustrialisation, transition énergétique, coopération scientifique et culturelle, promotion des valeurs démocratiques européennes : tels sont les grands enjeux qui constituent, pour nos deux pays, pour leur jeunesse, autant de formidables opportunités de renouveau et de progrès.
Vous le voyez, l’esprit qui anime notre partenariat franco-allemand ignore le pessimisme et la morosité. Quand d’autres se réfugient dans le protectionnisme, nous disons : concertation, confiance et initiatives communes. Soixante ans après le chancelier Adenauer et le général de Gaulle, monsieur le Chancelier, monsieur le Président de la République, vous vous apprêtez à nouer un nouveau partenariat franco-allemand : c’est le sens de l’histoire et nous pouvons tous nous en réjouir.
Juste avant de prendre ici la parole, j’étais au Panthéon avec mon homologue Bärbel Bas : symboliquement, nous avons voulu rendre hommage à Simone Veil, ancienne déportée, première présidente du Parlement européen. Dans ce temple des grands hommes, nous avons salué la mémoire d’une grande dame qui disait fort justement, avec cette lucidité qui était sa signature politique : « L’Europe c’est avant tout la fin des conflits entre la France et l’Allemagne. C’est déjà acquis depuis maintenant un peu plus de vingt ans. Mais il faut poursuivre dans cette voie et dans une perspective de confiance et de construction, ensemble. » Comme elle avait raison !
Le nouveau partenariat franco-allemand va également être relancé grâce à la déclaration commune des deux présidentes l’Assemblée nationale et du Bundestag, déclaration qui n’omet aucun champ d’intervention.
Car nos assemblées se sont jumelées. Elles s’engageront toujours pour le progrès, j’en suis sûre !
Et le progrès, aujourd’hui, est franco-allemand.
Pour promouvoir l’amitié entre nos deux pays, et avec elle nos valeurs démocratiques, nos exigences écologiques, notre vigilance sur les droits des femmes, je sais pouvoir compter sur mon homologue allemande – sur vous, chère Bärbel Bas, à qui je suis heureuse de céder la parole.
Je vous remercie.
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