Allocution de Mme Yaël Braun-Pivet, Présidente de l’Assemblée nationale

Mardi 28 juin

Hémicycle de l'Assemblée nationale
Seul le prononcé fait foi

Mes chers collègues,

Personne n’est entré dans cet hémicycle sans émotion, sans ressentir l’histoire dont ces murs sont empreints, l’histoire de la République, qui s’est forgée en ce lieu à nul autre pareil.

Des voix fortes résonnent dans ces travées. Ce sont les voix de ceux à qui nous devons de vivre dans un pays libre, qui eut l’ambition, jadis, de livrer au monde un message dont vous êtes aujourd’hui les garants : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. »

En me portant à votre présidence, vous donnez aujourd’hui à ce message une portée nouvelle.

Je veux donc vous remercier toutes et tous, élus au suffrage universel direct, qui accomplissez ce geste fort et plus nécessaire que jamais, sans doute, tant l’époque que nous vivons est lourde d’incertitudes et de questionnements.

Permettez-moi pour commencer d’avoir une pensée pour les autres candidats qui souhaitaient eux aussi occuper cette fonction. Je salue en particulier Annie Genevard, qui fut une excellente vice-présidente de l’Assemblée nationale durant la dernière législature.

Je veux aussi rendre hommage à tous ceux qui m’ont précédée à ce fauteuil. J’ai évidemment une pensée particulière pour Richard Ferrand – cher Richard. Par sa hauteur et sa rigueur, il a su incarner une Assemblée nationale exigeante avec elle-même et respectueuse de nos concitoyens.

Je pense aussi à Jean-Louis Debré évoquant d’emblée il y a vingt ans la personne du général de Gaulle, qui représentait tant pour lui et sa famille. Je pense également, plus près de nous, à Claude Bartolone, saisi par l’émotion lorsqu’il évoqua l’autre rive de la mer Méditerranée et l’odeur des orangers.

Mes chers collègues, qu’il est long et sinueux le chemin de l’égalité entre les hommes et les femmes !

Je voudrais vous lire quelques lignes publiées le 12 avril 1849 dans les colonnes du quotidien Le Peuple : « Un fait très grave sur lequel il nous est impossible de garder le silence s’est passé à un récent banquet. Une femme a sérieusement posé sa candidature à l’Assemblée nationale. »

Cette femme s’appelait Jeanne Deroin ; elle était journaliste, avait 44 ans et, sous le poids des moqueries, avait finalement dû retirer sa candidature, renonçant ainsi à son ambition, pourtant si légitime.

Il aura fallu attendre près d’un siècle pour qu’enfin, le 21 octobre 1945, trente-trois femmes entrent pour la toute première fois dans cet hémicycle ; encore vingt ans pour que les femmes accèdent à une présidence de commission ; de nouveau vingt ans pour qu’une place leur soit faite à la questure ; presque aussi longtemps avant que soit créée la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes.

Ce chemin fut tracé par des personnalités remarquables. Elles sont l’honneur de la France et il est bien injuste que je ne puisse ici toutes les citer.

Je veux quand même évoquer avec vous Catherine Tasca, qui fut en 1997, bien avant moi, la première femme à présider la commission des lois. Cette présidente yvelinoise défendit surtout le projet de loi constitutionnelle relatif à l’égalité entre les femmes et les hommes.

Je pense également à notre chère Marielle de Sarnez, grande figure de l’Assemblée, disparue trop tôt, nous laissant tous désemparés.

Enfin, comment ne pas évoquer Simone Veil, à qui les portes du Panthéon se sont ouvertes et à qui nous devons tant ? Le 26 novembre 1974, alors ministre, elle est venue – je la cite – « devant cette assemblée presque exclusivement composée d’hommes », pour mettre fin « à une situation de désordre et d’injustice », et a permis d’inscrire dans la loi le droit à l’avortement. La décision brutale rendue vendredi dernier par la Cour suprême des États-Unis d’Amérique, à rebours de son engagement, qui nous a tant choqués, nous appelle à la vigilance.

Rien n’est jamais acquis. L’histoire est faite de grandes avancées, mais elle est toujours menacée de s’écrire à rebours. Ce droit a été conquis, il est inaliénable. Ma conviction de femme, au regard des circonstances, est que nous devrons veiller collectivement à ce qu’il le reste à jamais.

Nous naissons hommes et femmes « libres et égaux en droits », mais il est d’autres promesses tout aussi nécessaires, qui furent également proclamées en 1789. Nous devons, qu’importe notre naissance, pouvoir grandir dans la liberté, l’égalité et la fraternité. Au cours de notre vie, les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune. Sans ces promesses, ma vie n’aurait pas été celle qu’elle a été, car ma famille doit tout à la République. Ma famille, ce sont mes grands-parents paternels. Lui polonais, elle allemande, ils ont fui le nazisme dans les années sombres et se sont réfugiés à Nancy où ils se rencontrèrent. Mon grand- père, à la Libération, reçut la médaille de la Résistance. À ce titre, il devint français et avec lui ma grand-mère et mon père. Ce fut leur plus grand honneur.

À leurs enfants et à leurs petits-enfants, dont je suis, ils ont transmis leur amour viscéral de la France, le pays qui les avait accueillis, protégés, et pour lequel ils s’étaient battus. Ma famille, c’est aussi ma mère, enfant de la DDASS, qui m’a appris qu’il ne fallait jamais suivre le chemin que les autres ont tracé pour vous.

Mon histoire, c’est celle d’une jeune fille qui fut la première parmi les siens à accomplir des études supérieures ; qui, devenue avocate, l’étiquette de son grand-père tailleur cousue dans la doublure de sa robe noire, a pu prendre son destin en main. Parce que c’est ce que notre République permet à chacun de ses enfants – parce que c’est ce que notre République doit à chacun de ses enfants.

Je vous livre ces confidences car elles sont autant de messages pour un pays qui doute. Ces messages, nous les retrouvons dans le préambule de 1946, dans lequel les droits proclamés en 1789 ont été réaffirmés au lendemain de la victoire remportée par les peuples libres contre la barbarie. « Tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d’asile sur les territoires de la République. […] La Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement. [Elle] garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à la formation professionnelle et à la culture. »

Voilà qui résonne plus fort encore dans un monde en conflit, dans un pays où l’ascenseur social peine parfois à s’élever.

L’enfant, la famille : permettez-moi, à ce moment de mon propos, de remercier et de saluer mon mari et mes cinq enfants, qui sont là – je vois ma fille qui pleure. Ils me portent ; leur soutien et leur joie de vivre sont ma force. Sans eux, sans chacun de mes proches, je ne serais pas moi, et je ne serais pas là.

Bien sûr, j’en ai conscience, j’accède à cette fonction à un moment particulier de notre vie politique. La configuration de notre assemblée est inédite.

Les Français nous enjoignent de travailler ensemble, de débattre plutôt que de nous battre. Ils nous ont choisis, ils nous ont élus. Nous partageons, quelles que soient nos différences, une responsabilité : celle de répondre à l’espoir que cette assemblée, qui a le visage de la France, a fait naître chez nos concitoyens. L’espoir de nous voir sortir des querelles stériles, que l’on nous a trop souvent reprochées, pour avancer ensemble au service de la France et des Français.

Notre assemblée, j’en ai la conviction, doit être une chance pour notre pays. Elle le sera, je n’en doute pas, si nous choisissons la voie du dialogue. J’en serai la garante exigeante. Ce dialogue sera la fondation sur laquelle nous pourrons bâtir du consensus, des compromis. Cette voie est possible. Les commissaires aux lois peuvent en témoigner, nous l’avons déjà empruntée : les travaux transpartisans, l’échange, la collégialité ont été notre marque de fabrique. Cette vision, je ne la fais pas mienne par nécessité, mais par conviction ; je l’ai développée dans mon Plaidoyer pour un Parlement renforcé.

Mes chers collègues, je vous parlais, un peu plus tôt, de dialogue entre nous. Ce dialogue, notre institution devra l’avoir aussi avec les Français ; c’est une évidence. Faire de la politique, c’est aimer les gens, chercher à leur être utile et transformer leur vie.

Notre assemblée devra sortir de ses murs et aller à la rencontre de tous nos concitoyens, sur tout le territoire. Je pense en particulier aux territoires d’outre-mer, que j’aime profondément. Chaque année, la présidente de la commission des lois que j’étais s’est rendue dans l’un d’eux ; chaque année, la présidente de l’Assemblée nationale que je suis continuera de le faire. Les outre-mer sont, eux aussi, présents dans le préambule de 1946 : « La France forme avec [eux] une Union fondée sur l’égalité […]. » Mon engagement pour eux ne faiblira jamais car, disons-le, avec eux, grâce à leur histoire, à leur diversité, à leur éloignement aussi, notre pays incarne davantage son rêve d’universalité.

Dans cet hémicycle, aujourd’hui, ouvrons ensemble un nouveau chapitre. Vous pourrez compter sur moi.

Le temps presse, il nous oblige. Pour tous les Français, où qu’ils soient, d’où qu’ils viennent, quels que soient leurs attentes et leurs besoins, agissons pour rendre plus beau ce bien immense que nous avons en commun : la République.

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