Lundi 3 juin 2024
Discours
Discours
Clôture du programme « Ambition service public » de l’association La Cordée
Mardi 20 septembre
Valmy
Seul le prononcé fait foi
Monsieur le maire,
Monsieur le préfet,
Mesdames et messieurs les parlementaires, chers collègues,
Mesdames et messieurs les élus,
Mesdames, messieurs,
Chers élèves du collège Jean-Baptiste Drouet,
Nous sommes ici réunis pour célébrer un moment unique, un événement-clef de notre histoire. J’ai voulu être présente parce que nous ne commémorons pas seulement une bataille, d’ailleurs modeste au plan militaire, mais une date décisive de notre vie démocratique. Victor Hugo disait : « Les souvenirs sont nos forces. Quand la nuit essaie de revenir, il faut allumer les grandes dates, comme on allume des flambeaux »
Essayons d’imaginer ce lieu, il y a 230 ans, au lever du soleil, le 20 septembre 1792. Un petit matin froid, pluvieux, brumeux. Deux armées se font face, sans se voir, tant le brouillard est épais.
À partir de 7 heures, de chaque côté, les canons tirent à l’aveuglette : dans cette plaine d’habitude si paisible retentit un fracas formidable, la terre tremble ! La canonnade va durer quatre heures : vingt mille boulets côté français, et plus encore du côté des Prussiens et des Autrichiens.
Quand enfin les brumes se dissipent, vers 11 heures, le duc de Brunswick découvre médusé que les Français sont toujours là, lui barrant la route.
Les nobles français émigrés en Allemagne lui avaient pourtant annoncé, avec mépris, « une armée de vagabonds, de savetiers et de tailleurs », que le feu du canon aurait dû faire fuir… Venu disperser une jacquerie, voici que le Feldmarschall prussien trouve en face de lui un peuple en armes, des citoyens prêts à se battre pour leur liberté.
Car c’est bien de cela qu’il s’agit, à Valmy, le 20 septembre 1792 : la liberté, la citoyenneté, le droit pour chacun de dire son mot sur les affaires publiques – et le devoir désormais librement consenti de combattre non pour le roi en mercenaire, mais pour la patrie en citoyen. Des droits conquis en 1789 avec la naissance d’une Assemblée nationale, dépositaire de la souveraineté populaire.
Alors que le roi de France, Louis XVI, est « suspendu », en attente d’être jugé, Brunswick et ses troupes sont là pour châtier les Français, pour écraser la Révolution Ce petit tertre où nous sommes, ce moulin de Valmy qui domine la plaine, c’est le dernier verrou avant Paris : s’il saute, c’en est fini de la Révolution, des débats démocratiques, de la liberté.
Alors, c’est l’assaut. Chez les Français, le général Kellermann donne l’ordre d’avancer sans tirer une seule balle avant d’être à portée immédiate de l’ennemi. Quand le choc se produit, au bas du moulin, les Prussiens ont le dessous. Leur élan est cassé, Brunswick fait sonner la retraite. Cette armée qui devait emporter la Révolution, pour la première fois, recule. Pour la première fois aussi, une armée de volontaires l’emporte sur une armée royale, et partout retentit le cri de : « Vive la Nation ! »
De l’autre côté du site, la bataille a eu un grand témoin, Gœthe. Secrétaire du duc de Saxe-Weimar, il écrira : « De ce jour et de ce lieu date une nouvelle ère de l’histoire du monde. »
Voilà ce qui s’est passé ici, le 20 septembre 1792. Voilà ce que nous célébrons aujourd’hui.
Ce qui donna la victoire, ce fut le ciment de la citoyenneté. Ce fut l’engagement de citoyens libres, qui se mobilisèrent pour leur pays.
Car l’engagement, c’est le cœur battant de la République, la vie même d’une nation démocratique. Cet engagement, je le retrouve aujourd’hui dans nos armées, bien sûr. C’est celui de nos réservistes opérationnels ou citoyens, de nos jeunes du Service national universel. Mais c’est aussi celui de tous ceux qui se dévouent pour la collectivité, à travers la vie associative, ou par l’exercice d’un mandat. C’est tout cela que voulaient dire les volontaires de 1792 en clamant : « Vive la Nation ! »
La Nation alors, c’était le peuple, le droit du peuple, de chaque peuple du monde. Je suis de cette Nation-là ; nous sommes de cette Nation-là.
Parmi les combattants de Valmy, se trouvait Francisco Miranda, venu d’Amérique du sud et bientôt père de l’indépendance vénézuélienne. Sa statue domine maintenant le champ de bataille, tout comme le buste de Bolivar. Quant à Kellermann, issu de la noblesse saxonne, son nom montre aussi bien qu’il n’y a pas de fatalité ni d’exclusive dans la Nation, qui n’est ni ethnique ni biologique.
La Nation au sens de Valmy est un idéal universel de liberté, pas un prétexte à l’exclusion et à la discrimination. Elle ne doit pas être confondue avec le nationalisme, qui est une perversion du lien national. Et je fais mienne l’analyse d’Ernest Renan, qui disait : « l’existence d’une nation est un plébiscite de tous les jours ».
Et il précisait : « Ce qui constitue une nation, ce n’est pas de parler la même langue, ou d’appartenir à un groupe ethnographique commun, c’est d’avoir fait ensemble de grandes choses dans le passé et de vouloir en faire encore dans l’avenir. »
Oui, l’amour de la Nation n’exclut pas les autres nations. La souveraineté du peuple n’est pas la haine des autres peuples.
D’ailleurs, nous le savons, les démocraties ne se font pas la guerre entre elles. Les démocraties se défendent, mais ce sont les régimes autoritaires et autocratiques qui agressent et qui attaquent. Nous le voyons encore aujourd’hui.
La Nation au sens de Valmy incluait aussi les femmes. Car en 1792 déjà, la citoyenne Théroigne de Méricourt proposait que les femmes puissent s’armer pour défendre la liberté. « Françaises, déclara-t-elle, élevons nous à la hauteur de nos destinées, brisons nos fers. Il est temps enfin que les femmes sortent de leur honteuse nullité où l’ignorance, l’orgueil et l’injustice des hommes les tiennent asservies depuis si longtemps… »
Aujourd’hui, les armées françaises comptent déjà 16 % de femmes, c’est l’un des taux de féminisation les plus élevés au monde : Théroigne de Méricourt était visionnaire. Elle ouvrait un nouveau front dans la conquête des libertés pour tous, c’est-à-dire aussi pour toutes. Une conquête que nous nous devons de poursuivre, dans tous les pans de notre société.
Ainsi, je suis fière, et tous, nous pouvons être fiers des combattants de Valmy que nous célébrons ce matin. À notre tour, sachons nous montrer à leur hauteur, pour faire vivre notre démocratie, pour que les Françaises et les Français se reconnaissent en elle.
La République, née au lendemain de Valmy, a mis du temps à s’instaurer et se stabiliser. Et cela n’a rien d’anormal : notre démocratie doit toujours être capable d’évoluer, d’innover, pour se mettre à l’écoute de la Nation. À cet égard, notre Assemblée nationale doit s’ouvrir davantage pour jouer pleinement son rôle au service de chacun et redevenir la maison du peuple.
Le souvenir de Valmy doit nous encourager dans cette voie. Je ne suis pas seulement venue pour commémorer le passé. Je veux m’en inspirer pour préparer l’avenir, avec la même audace.
Cinq jours après la victoire de Valmy, la République naissante se donnait un visage – un visage féminin. Un décret du 25 septembre 1792 prévoyait en effet que les actes officiels soient ornés « d’une figure de la liberté » : Marianne apparaissait, et son sourire bienveillant invitait les Français à faire le pari de l’optimisme – le pari du progrès et de l’avenir. En 230 ans, nous avons connu cinq républiques, mais l’idéal républicain reste notre horizon : celui des droits de l’Homme et des libertés démocratiques.
Au nom de Marianne, je vous remercie de votre présence ici, et je suis heureuse de me trouver avec vous pour cet anniversaire émouvant.
Vive la République, vive la France !
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