Rendez-vous de l’Histoire, remise du Prix de l’Initiative laïque

Vendredi 7 octobre

Blois
Seul le prononcé fait foi

Monsieur le maire de Blois, cher Marc Gricourt,

Monsieur le préfet,

Mesdames et messieurs les parlementaires, chers collègues,

Mesdames et messieurs les élus,

Monsieur le président du conseil scientifique des Rendez-vous de l’Histoire, cher Jean-Noël Jeanneney,

Mesdames et messieurs les organisateurs,

Mesdames et messieurs les membres du jury,

Mesdames, messieurs,

Je suis heureuse de me trouver parmi vous ce soir, pour saluer cette belle « initiative laïque », ici à Blois, ancienne capitale royale, devenue capitale des historiens.

En cette semaine de rentrée parlementaire, il n’était pas très simple pour moi de m’éloigner de l’hémicycle, et je vous prie de ne pas trop m’en vouloir si je dois regagner Paris rapidement. Mais j’ai tenu à être présente à ces 25e Rendez-vous de l’Histoire, parce que la présidence de l’Assemblée nationale, telle que je la conçois, est mobile et ouverte.

Le piège serait de s’enfermer au Palais-Bourbon, de s’isoler derrière ses hauts murs, dans le confort de la routine parlementaire. Eh bien non : je veux être au contact de la société, en prise avec les citoyens, là où il se passe quelque chose de stimulant pour l’esprit et pour la République.

À Blois, clairement, il se passe quelque chose. Le public est au rendez-vous, parce que nos concitoyens veulent connaître leur histoire et font confiance aux historiens – peut-être davantage qu’aux politiques, d’ailleurs…

Je ne suis pas historienne, mais je suis convaincue que la connaissance historique nous aide à mieux comprendre notre pays. 

Tout à l’heure, en me promenant à travers la Halle aux grains, j’étais impressionnée par la somme de travaux, de réflexions, d’études, sur tout ce qu’ont réalisé les Français. Et je songeais à cette belle phrase d’Ernest Renan qui est aussi un message d’espoir : « Ce qui constitue une nation, ce n’est pas de parler la même langue, ou d’appartenir à un groupe ethnographique commun, c’est d’avoir fait ensemble de grandes choses dans le passé et de vouloir en faire encore dans l’avenir. »

Étudier le passé, ce n’est donc pas se complaire dans le passéisme ; c’est déjà préparer demain. Et pour avancer, la manière de travailler des historiens me paraît inspirante.

Pour écrire l’histoire d’un individu ou d’un groupe, en effet, il faut respecter une certaine méthode. Pour légiférer aussi, j’en suis persuadée. 

Un historien qui prendrait ses désirs pour des réalités, et des clameurs pour des arguments, n’aurait aucune chance d’être invité à Blois… De même, un député doit se mettre à l’étude du réel, aller aux sources, vérifier et croiser ses informations, accepter la controverse courtoise et étayée pour faire sérieusement son travail. 

Car en politique aussi, il faut de la méthode et de la mesure, le sens de l’écoute et la volonté d’aboutir à un compromis raisonnable. C’est particulièrement vrai dans le domaine sensible des croyances et des pratiques religieuses, où l’on a tôt fait de réveiller les vieux démons de l’anathème et de la discorde civile.

Dans ce pays blésois, il y cinq siècles ravagé par les Guerres de religion, savourons le plaisir de pouvoir aujourd’hui échanger librement, sans invectives ni menaces, y compris sur les questions religieuses. Saisissons cette chance de pouvoir débattre sereinement, sur des sujets aussi délicats que l’interruption volontaire de grossesse, l’éducation de nos enfants, la fin de vie. Sur tous ces thèmes, nos conceptions spirituelles et philosophiques ont forcément une influence sur nos choix politiques, mais elles peuvent s’exprimer sans dogme et sans tabou, dans une discussion ouverte. Cette liberté extraordinaire a une condition : la laïcité de l’État. 

Une République respectueuse de la liberté de conscience et du libre exercice des cultes, mais qui ne reconnaît ni ne subventionne aucun culte : tel est en effet cet équilibre, ce miracle laïc si j’ose dire, que nous a apporté la loi de 1905, en définissant les contours de la laïcité à la française.

Ce modèle, bien des professeurs me l’ont dit, n’est pas toujours facile à enseigner. C’est la faiblesse des grandes idées, toujours plus complexes à transmettre que les slogans simplistes et réducteurs. La laïcité à la française, parce qu’elle concilie liberté de croire ou de ne pas croire, liberté d’adorer ou de critiquer, liberté de douter, repose sur ce bel idéal humaniste et pacifiste qu’on nomme la tolérance.

Je me félicite donc que le jury du prix de l’Initiative laïque – après m’a-t-on dit deux bonnes heures de discussions nourries –, ait justement choisi de récompenser l’esprit de tolérance. Il l’a fait en distinguant cette année le spectacle « J’suis différent », un conte musical proposé par la compagnie Hélios. Toutes mes félicitations à cette troupe de la Creuse qui, s’adressant aux enfants de 4 à 11 ans, les sensibilise aux problématiques de l’altérité dans un langage accessible et vivant.

Hélios, c’est le Soleil, et je trouve quelque chose de solaire à cette volonté d’illuminer le quotidien par l’art, de faire passer les idées humanistes par la médiation du son, du rythme et de la couleur. La musique nous unit : par-delà les différences, elle nous révèle dans notre humanité commune, dans une sensibilité commune qui dépasse les appartenances et les assignations, sans pourtant nier les influences culturelles multiples qui façonnent chacune de nos histoires singulières. 

Comment pouvoir dire « J’suis différent » et s’intégrer dans un vaste et fraternel ensemble, la société ? Comment être soi sans se couper des autres ? C’est toute la magie de la République, qui nous veut unis sans être uniformes, singuliers sans être isolés. Je salue donc le travail de la compagnie Hélios, qui est d’utilité publique.

Aussi ambitieux qu’élégant, son projet s’accompagne d’un riche dossier pédagogique permettant aux enseignants d’aborder les questions de laïcité : c’est là encore une excellente méthode.

À l’Assemblée nationale aussi, j’ai voulu dès le début de cette session parlementaire faire appel aux artistes, aux comédiens, pour faire venir le public dans cette maison du peuple que doit redevenir notre fabrique des lois. 

Il y a trois jours seulement, après avoir inauguré l’installation d’une sculpture de Prune Nourry dans la Cour d’honneur du Palais-Bourbon, j’ai accueilli le spectacle de Jean-Louis Debré sur ces femmes qui ont réveillé la France.

D’autres débats historiques seront bientôt reconstitués, avec des comédiens de renom, pour faire entendre à nos concitoyens le meilleur de nos grandes délibérations parlementaires.

Parmi celles-ci, le débat de 1905 occupe une place de choix. Pendant 48 séances, sans une injure, sans un éclat, mais tout simplement avec brio, les députés français ont discuté fermement et dignement de la place des religions dans la République.

Un avocat qui n’était député que depuis trois ans, un débutant, s’est chargé d’être le rapporteur de ce débat qui semblait impossible : ce débutant, Aristide Briand, va parvenir à un compromis si solide qu’en 2022, il fonde toujours notre pacte républicain. Aristide Briand, après cet exploit, deviendra le grand homme d’État que vous connaissez, l’apôtre des États-Unis d’Europe et de la réconciliation franco-allemande. Pour cela, il recevra le prix Nobel de la paix en 1926. 

Sachons entendre la méthode d’Aristide Briand, qui à la fin du grand débat sur la séparation des Églises et de l’État, s’adressait en ces termes à ses collègues : « J’ai voulu réussir dans l’accomplissement de la tâche qui m’avait été confiée. Pour cela, sans perdre de vue un seul instant les principes essentiels de la réforme qui tous ont été respectés, je n’ai pas reculé devant les concessions nécessaires. » 

Et répondant à ses derniers adversaires, il concluait sur l’essentiel, à savoir que sa loi « aura généreusement accordé tout ce que raisonnablement pouvaient réclamer vos consciences : la justice et la liberté ».

Ce beau langage, servi par sa charmeuse « voix de violoncelle », Briand le maîtrisa très tôt puisque, lycéen à Nantes, il étonna Jules Verne, qui l’emmena dans ses promenades en mer.

Quiconque a navigué un tant soit peu comprendra ce compagnonnage, unissant l’écrivain et le jeune militant républicain. En mer, le sentiment de liberté se fait intense comme les vagues et le vent, il submerge les consciences, il emporte les cœurs. Jules Verne le fera dire au capitaine Nemo : « La mer n’appartient pas aux despotes. »

La navigation est aussi une bonne école de patience et d’habileté. Comme le constatait avec humour l’égyptologue William Arthur Ward, en mer « le pessimiste se plaint du vent, l’optimiste espère qu'il va changer, le réaliste ajuste ses voiles »…

En se donnant pour thème « la Mer », les Rendez-vous de l’Histoire nous font ainsi prendre le grand vent des libertés démocratiques, de l’émancipation, de l’ouverture au monde et aux autres. J’en félicite les organisateurs et je m’efface devant Alain Cabantous, pour sa leçon inaugurale sur « la mer en partages ».

Je vous remercie.


 

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