Remise de la médaille de l’Assemblée nationale à Mme Euzhan Palcy

Mercredi 3 mai

Hôtel de Lassay
Seul le prononcé fait foi

Mesdames et messieurs les députés,

Mesdames, messieurs, chère Euzhan Palcy,

La France a parfois une fâcheuse tendance à négliger ses talents, en particulier quand ils sont féminins. Voyez Alice Guy : première femme réalisatrice, première productrice de cinéma, avec une filmographie de plus de cent titres tournés des deux côtés de l’Atlantique. 

Née dans la génération des frères Lumière, en 1873, elle a vécu jusqu’en 1968 ; mais toute sa vie, son œuvre a été ignorée, niée : c’est seulement cette année, pour les 150 ans de sa naissance, qu’elle sera célébrée, un peu tard, dans le cadre des commémorations nationales.

Pour vous, chère Euzhan Palcy, pas question de répéter la même erreur : c’est maintenant qu’il faut reconnaître et saluer votre œuvre, c’est maintenant que je veux récompenser votre talent.

Ce talent, d’ailleurs, est déjà reconnu au plan international, avec pas moins de dix-sept prix prestigieux. Je ne citerai que les principaux : César du meilleur premier film pour Rue Cases-Nègres en 1983, prix Orson Welles en 1989, Oscar d’honneur pour l’ensemble de votre carrière en 2022. Après Agnès Varda en 2017, vous êtes la seule Française à avoir reçu pareille distinction.

Comme Alice Guy, vous comptez parmi les pionnières du cinéma au féminin. Vous êtes en effet la première femme noire à avoir réalisé un film dans un grand studio hollywoodien, et aussi la seule femme au monde à avoir dirigé Marlon Brando, l’acteur sans doute le plus difficile à cadrer, dans tous les sens du terme.

Quel chemin parcouru depuis votre enfance martiniquaise, quand le cinéma n’était encore qu’un loisir populaire et familial, ouvrant des fenêtres sur le vaste monde. Mais vous n’étiez pas destinée à demeurer simple spectatrice. Vous vouliez tourner, vous aussi, et votre volonté a fait tomber tous les obstacles. À 17 ans, vous réalisez votre premier film, La Messagère, pour la télévision française en Martinique. Messagère, vous l’êtes vous-même quand vous partez à Paris, pour étudier, avec la ferme intention d’adapter un jour à l’écran votre livre de chevet, La rue Cases-Nègres de Joseph Zobel. Remarquée par François Truffaut, vous trouvez les appuis nécessaires et c’est, en 1983, avec la sortie de votre premier long-métrage, le début d’une réussite mondiale qui mérite l’hommage de la représentation nationale qui vous est rendu aujourd’hui.

À cet égard, je remercie Jiovanny William, député de la Martinique, de m’avoir proposé de vous recevoir pour cette cérémonie et pour l’organisation de la projection qui aura lieu tout à l’heure de votre film Rue Cases-Nègres. C’est un plaisir de vous rencontrer, vous qui incarnez tout à la fois l’excellence du cinéma français, sa reconnaissance internationale et l’apport des femmes au septième art.

J’ajouterai que votre travail, par sa dimension ultramarine, apporte une touche supplémentaire de diversité culturelle au cinéma français, qui n’est pas seulement hexagonal mais se nourrit de l’histoire et de la littérature des anciennes îles à sucre, au croisement des cultures africaines, américaines et européennes. Les Outre-mer sont une richesse immense, y compris pour le rayonnement culturel de la France.

Chère Euzhan Palcy, la médaille de l’Assemblée nationale n’est pas de celles qu’on porte sur la poitrine, accrochée par un ruban. C’est ce qu’on appelle une « médaille de table », qui se pose sur un bureau, dans son bel écrin. C’est surtout une marque de reconnaissance de la Représentation nationale qui vous encourage à continuer. Et pour ma part, je suis heureuse et fière de songer que, sur votre table de travail, où vous écrirez vos prochains films, l’Assemblée nationale sera représentée par cette médaille très largement méritée.

L’Assemblée nationale est d’ailleurs présente depuis longtemps dans votre vie, à travers un député d’exception, Aimé Césaire, que vous admiriez dès votre adolescence, qui vous a reçue et à qui vous avez consacré un documentaire passionnant. Césaire disait : « L’homme de culture doit être un inventeur d’âmes. » La femme de culture tout autant, et peut-être plus encore ! Et quelle meilleure définition de la réalisation cinématographique que celle-ci : inventer des âmes, c’est-à-dire trouver des personnages, les animer, leur donner vie, les faire agir et parler, être « la bouche de ceux qui n’ont pas de bouche », pour reprendre les mots d’Aimé Césaire.

Euzhan Palcy, inventeuse d’âmes, je suis heureuse de vous remettre la médaille de l’Assemblée nationale, pour l’ensemble de votre œuvre et pour votre contribution au rayonnement de la République française.

Je vous remercie et je donne maintenant la parole à Euzhan Palcy.
 

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