Rentrée solennelle du Barreau d’Aix-en-Provence

Jeudi 6 juillet

Le Puy-Sainte-Réparade
Seul le prononcé fait foi

Monsieur le bâtonnier,

Mesdames et messieurs les députés, chers collègues,

Mesdames et messieurs les avocats, chers confrères,

Mesdames, messieurs,

C’est un honneur et un plaisir d’ouvrir cette audience solennelle de rentrée, en ce magnifique endroit.

Il y a un an, tout juste élue Présidente de l’Assemblée nationale, je promettais de ne pas me laisser enfermer entre les hauts murs du Palais-Bourbon. Dans un pays en proie au doute, où le complotisme et l’antiparlementarisme renaissent de façon préoccupante, où les tribunaux sont de plus en plus souvent saisis de violences contre les élus, il me semble en effet que mon rôle n’est pas seulement de présider les séances, dans l’hémicycle, à Paris, mais aussi d’aller à la rencontre des Français. Pour leur parler mais aussi pour les entendre, pour rendre compte de l’activité parlementaire, j’ai multiplié les déplacements. Je suis allée à Valmy célébrer la première victoire de la République, à Saint-Laurent-du-Maroni pour inaugurer les travaux de rénovation du quartier bordant le fleuve, et dans de nombreuses villes et zones rurales. Et grâce à votre aimable invitation, monsieur le bâtonnier, sur proposition d’Anne-Laurence Petel, je termine en beauté cette session.

Car, pour la présidente de l’Assemblée nationale, aller à Aix-en-Provence, c’est en quelque sorte effectuer un retour aux sources. 

En effet, c’est grâce aux Aixois que nous avons une Assemblée nationale en France, puisque ce fut le bailliage d’Aix qui élut Mirabeau aux États généraux, en 1789. 

Ce choix n’avait rien d’évident à l’époque. Né loin d’ici, près d’Orléans, le comte de Mirabeau se présenta d’abord aux suffrages de la noblesse, qui ne voulut pas de lui. 

Alors, avec cette audace qui est la marque des grands politiques, il acheta une boutique à Aix sur laquelle il écrivit : « Mirabeau, marchand de drap », pour être éligible par le tiers-état.

C’est pourquoi, quelques mois plus tard à Versailles, quand le marquis de Dreux-Brézé, maître de cérémonie du roi, voulut disperser les députés qui s’étaient constitués en Assemblée nationale, il eut affaire à un tribun hors pair qui ne se laissa pas faire. En opposant la volonté du peuple à la force des baïonnettes, celui qu’on surnommait « la Torche de Provence » illumina son temps.

« Le droit est le souverain du monde », disait aussi Mirabeau qui, s’il ne fut pas avocat, aurait mérité de l’être, et avait à l’évidence toutes les capacités oratoires nécessaires à ce beau métier. Dans les assemblées parlementaires qui se sont succédé depuis son coup d’éclat de 1789, nombreux furent d’ailleurs les avocats qui apportèrent leur pierre à l’édifice démocratique, et c’est logique : défendre le faible contre le fort, la victime contre l’oppression, les défendre par la magie du verbe et la rigueur du raisonnement, c’est l’art de l’avocat aussi bien que l’honneur du parlementaire.

Pour moi, formée à l’école de Maître Temime, récemment disparu et qui restera dans la mémoire de la profession, ces analogies entre le prétoire et l’hémicycle me sautent aux yeux à chaque séance.

Oui, être avocat, c’est un acte de volonté quotidien : c’est un métier fait d’attentes, de courses, d’inquiétudes, de fulgurances, d’espérances déçues, de moments de joie qui restent gravés à vie en nous. C’est un métier de combat et d’exigence, mais surtout un métier profondément humain. Notre serment nous fait obligation d’exercer nos fonctions avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité : ce sont ces valeurs, et tout spécialement cette humanité, qui sont à la source de mon engagement politique. 

C’est pourquoi j’ai toujours considéré que l’avocature symbolisait, plus que d’autres professions, l’un des trois termes de notre devise républicaine et je citerai pour cela Maître Henri Leclerc qui écrit, dans La Parole et l’action : « Si le juge qui punit est le gardien de la liberté, et le procureur qui poursuit celui de l’égalité, l’avocat veille, lui, à la fraternité. »

Voilà pourquoi l’avocat est un citoyen si précieux. Voilà pourquoi son rôle est si central dans la Cité et pourquoi tant d’avocats se sont engagés en politique, dans le droit fil des valeurs qui fondent leur métier.

Votre département, à cet égard, s’est tout particulièrement signalé en élisant, pour députés, des avocats de grand style qui ont marqué l’Histoire. Berryer, Thiers, Gambetta furent députés des Bouches-du-Rhône, et après eux Félix Gouin, qui réalisa toutes les grandes réformes de 1946, et plus tard Gaston Defferre bien sûr.

Parmi les avocats parlementaires des Bouches-du-Rhône, je n’oublie pas mon lointain prédécesseur Fernand Bouisson, président de la Chambre des députés pendant neuf ans, de 1927 à 1936 : un record, sous la Troisième République. Il y eut toutefois une brève interruption dans sa présidence quand, en 1935, à la suite d’une crise ministérielle, cet homme de consensus fut chargé de former un gouvernement de large union. Il y parvint le 4 juin 1935, obtenant la confiance à une confortable majorité – mais il fut renversé quatre heures et vingt minutes plus tard, pour avoir demandé les pleins pouvoirs en matière économique ! Vous voyez qu’il ne faut pas abandonner le Perchoir inconsidérément…

Une avocate, aussi, fut élue députée dans votre département, dès 1945 : Germaine Poinso-Chapuis, qui fit ainsi partie des premières femmes à siéger à l’Assemblée nationale : elle en présida même des séances, en tant que vice-présidente, avant de devenir, en 1947, la première femme ministre de plein exercice, à la tête du ministère de la Santé, vingt-sept ans avant Simone Veil.

La féminisation de la société française a progressé depuis, et je me félicite à cet égard que, pour la cinquième fois de son histoire, le barreau d’Aix-en-Provence ait désigné une bâtonnière : je félicite Maître Mahy-Ma-Somga pour son élection, tout comme je rends hommage à l’action du bâtonnier sortant, Maître Porteu de La Morandière.

Avant de lui rendre la parole, je voudrais juste observer que les questions judiciaires ont particulièrement occupé le Parlement ces dernières semaines et continuent de le faire, puisque deux textes structurants, tirant les conséquences des États généraux de la Justice, ont été adoptés par le Sénat : ils sont actuellement en discussion à l’Assemblée nationale. 

Membre de son comité, je peux témoigner que les États généraux de la Justice ont été un moment de concertation majeur, puisqu’ils ont réuni toutes les professions du droit et nous ont permis de nous interroger, collectivement, sur les limites de notre système judiciaire et ses améliorations nécessaires. 

Aujourd’hui, où en sommes-nous ? La Justice de 2023 a eu le courage de faire son introspection. Nous autres, responsables politiques, nous sommes tous penchés à son chevet. Nous nous sommes efforcés de répondre aux attentes de ses praticiens comme de nos concitoyens.

Ce travail de réflexion, nous devons le poursuivre, pour continuellement nous interroger sur la Justice que nous voulons bâtir ensemble, en nous fixant des objectifs clairs : une Justice plus humaine, plus proche des attentes des Français et aussi plus agile. En définitive, nous devons ensemble bâtir une justice qui suscite l’adhésion et la fierté, dans laquelle chacun puisse se reconnaître et avoir confiance. 

Ce dernier point est crucial : la confiance des Français dans leur justice implique que les décisions soient comprises de nos concitoyens, mais aussi qu’elles soient rendues plus rapidement. Nous y travaillons. 

L’un des deux textes en discussion prévoit, vous le savez, une hausse majeure, bienvenue et inédite des moyens alloués à la Justice. Une trajectoire pluriannuelle de 11 milliards d’euros d’ici à 2027, qui s’inscrit dans la continuité des efforts engagés au cours du précédent quinquennat, et qui permettra de renforcer les effectifs, avec le recrutement de 10 000 fonctionnaires. Cela ne pourra que profiter à l’ensemble des acteurs de la Justice, et d’abord aux justiciables dont l’intérêt doit rester notre principale boussole.

Mais une Justice plus rapide ne signifie pas une justice qui se rend dans la précipitation. Car si la Justice doit toujours s’accorder avec les aspirations de son époque, elle ne doit en aucun cas reproduire ses agitations. Au contraire, elle doit toujours prendre la hauteur nécessaire pour veiller à ce que chacun y trouve sa place : les victimes, les prévenus ou accusés, toutes les parties au pénal comme au civil.

 La Justice que nous voulons bâtir ensemble est un territoire d’apaisement qui sait répondre à chaque souffrance. Aussi attentive au traitement des plaintes qu’au traitement des mis en cause et des condamnés. En définitive, une justice qui fait société. 

Enfin, la question carcérale est un sujet qui me tient particulièrement à cœur. Pour jouer pleinement son rôle et mieux lutter contre la récidive, notre Justice de demain doit pouvoir diversifier les modes de prises en charge des détenus et assurer leur dignité.

Une détention digne, c’est en effet le premier pas vers une bonne réinsertion et donc une société apaisée. Les structures d’accompagnement vers la sortie, les « SAS », votées au Parlement lors de la précédente législature et que j’avais alors défendues, sont en cela une avancée majeure et concrète. 

A taille humaine, intégrées dans la ville, elles sont un outil d’autonomisation et de responsabilisation des détenus en fin de peine. 

Ils y bénéficient de l’aide des différents services sociaux comme l’Assurance Maladie, la CAF, Pôle Emploi notamment, qui travaillent en étroite collaboration avec le personnel pénitentiaire, dans le cadre d’un plan d’accompagnement déterminé par le service pénitentiaire d’insertion et de probation. Les SAS répondent ainsi à un objectif clair et indispensable : créer une voie de passage entre la vie carcérale et la vie civile.

Aujourd’hui, le plan 15 000 places prévoit la création de 14 nouvelles SAS. 2 SAS ont été inaugurées fin 2022, à Caen et Montpellier, et 7 seront ouvertes d’ici à la fin de l’année 2023 :  à Valence, Avignon, Meaux, Osny, Le Mans-Coulaines, Noisy-le-Grand et Toulon. Tout cela portera le nombre total de places de SAS à 2 300.

Ces structures connaissent actuellement un taux d’occupation de plus de 90%, témoignant d’une très bonne appropriation de ce dispositif encore adolescent.

Vous pouvez le constater, nos avancées en la matière sont concrètes et portent leurs fruits.

Parmi les avocats-députés de votre département, j’évoquais tout à l’heure Gambetta, qui disait fort justement : « La politique est l’art du possible. » Et il ajoutait : « Les grandes réparations peuvent sortir du droit ; nous ou nos enfants pouvons les espérer, car l’avenir n’est interdit à personne. » Avec la même conviction, je salue le barreau d’Aix-en-Provence, gardien vigilant du droit et de l’égalité de tous devant la justice.

Je vous remercie.


 

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